L'Art du Pardon II : Guérison à Travers l'Histoire de Mon Père Biologique

Publié le 26 octobre 2024 à 13:56

« Pourquoi veux-tu rencontrer ton père biologique ? Cet homme vous a abandonnés lâchement, ta mère, ta sœur et toi, vous laissant sans abri. » Cette question, je l’ai entendue à maintes reprises. Et pourtant, c’est cet homme, malgré tout, qui a été le point de départ de ma magnifique histoire. Derrière ses actes, que beaucoup jugeraient sévèrement, se dissimule une leçon précieuse : celle de la résilience, de la compréhension, et la trame d’un récit extraordinaire.

La Roumanie des années 80 était plongé dans une période sombre sous la dictature de Ceaușescu, qui était sur le point de s’effondrer. Le pays était appauvri, la nourriture se faisait rare, et la dictature avait éradiqué toute notion d’entraide. C’est dans ce contexte étouffant que ma sœur et moi sommes venues au monde. Notre mère, encore étudiante, se trouvait seule face à un avenir incertain, tandis que notre père avait déjà vécu plusieurs relations, et avait des enfants d’une autre union. Quand il a appris que ma mère était à nouveau enceinte, cette fois de ma sœur, il a pris la décision de fuir ses responsabilités, nous abandonnant alors que je n’étais qu’un bébé de huit mois et ma mère enceinte de trois mois. Ainsi, nous nous sommes retrouvés à la rue, sans abris, ayant la gare comme refuge.

Dans une époque où beaucoup cherchaient désespérément à fuir la Roumanie, notre père biologique aussi voulait s’évader, mais il avait besoin d’argent pour cela. Son plan ? Nous faire adopter en échange d’argent, sans l’accord de notre mère. Cet acte, aussi cruel puisse-t-il paraître, fut en réalité le déclencheur de notre destin. Car c’est à travers cette tentative que nos parents adoptifs ont entendu parler de nous. Et à partir de cet instant, un enchaînement d'événements improbables a donné naissance à une histoire hors du commun, où ma mère adoptive s’est révélée être notre véritable héroïne. 

Neuf mois de combat intense de nos parents adoptifs pour nous sortir de là-bas. Notre père adoptif étant en fauteuil roulant, seule notre mère est parti bravé les frontières et les incertitudes d’un pays sans lois pour entamer les démarches d’adoption. Un combat qui semblait interminable rempli d’obstacles et de désillusions.

Le dernier rempart à franchir après ces 9 mois de galère ? Notre père biologique. Comme il n’avait pas reconnu ma sœur comme sa fille à sa naissance, nos parents adoptifs n’ont pas eu besoin de sa signature pour obtenir son droit d’adoption. En revanche, il fallait sa signature pour obtenir mon droit d’adoption. Et il exigeait de l’argent. Sans cela, il ne signerait pas, me bloquant là-bas en Roumanie. Notre mère adoptive, fatiguée après cette longue épreuve épuisante en Roumanie, complètement à bout de force, a catégoriquement refusé de nous séparer, et allait se battre jusqu’au bout pour nous ramener tous les 2 en France, malgré les conseils de beaucoup de gens qui lui disaient de partir seulement avec ma sœur. Elle a dû littéralement lui courir après dans Bucarest, avec l’aide d’une famille qui a aussi joué un grand rôle dans le succès de notre adoption. Mais le destin était déjà écrit, nous étions destinés à quitter la Roumanie ensemble. Mes parents adoptifs ont réussi à obtenir sa signature, sans que je ne connaisse la raison pour laquelle il a fini par signer mon droit d’adoption. Ce moment où, les chaînes qui me retenaient là-bas ont été brisées.

Cette histoire concernant mon père biologique, a été témoigné par mes parents adoptifs, ma mère biologique ainsi que la famille qui a aidé notre mère adoptive en Roumanie, semble cruel de l’extérieur, quand l’on parle d’un homme sans cœur qui a voulu sauvé sa peau. On pourrait lui reprocher de ne pas vouloir assumer ses responsabilités ou bien de ne pas savoir aimer. 

Mais j’ai choisi de ne pas juger. Avant de condamner, j’ai voulu comprendre. Comprendre son histoire. Et pour comprendre la sienne, il m’a fallu aussi plonger dans celle de la Roumanie, telle qu’elle était à l’époque de ma naissance. Il est vrai qu’il m’est souvent arrivé de penser à ma mère biologique, mais beaucoup moins à lui. On m’avait raconté qu’il n’avait pas fait de belles choses envers nous, mais jamais de haine envers lui s’est réveillé en moi, j’étais simplement curieux de savoir qui il était. 

La Roumanie de l’époque où je suis né, était sous le régime autoritaire de Nicolae Ceaușescu, la vie quotidienne était marquée par la peur, la privation. Ceaușescu, obsédé par l’autosuffisance économique, imposa de strictes politiques d’austérité pour rembourser la dette nationale, plongeant le pays dans une crise humanitaire. La Securitate, la police secrète, était omniprésente : les conversations étaient surveillées, les dénonciations étaient courantes, et la liberté d’expression n’existait tout simplement pas.

Les magasins d'alimentation étaient pratiquement vides, obtenir de la nourriture de base devenait une lutte incessante. Le chauffage, l’électricité, et même l’eau chaude étaient sévèrement limités ; des coupures intempestives rappelaient aux citoyens que leurs vies étaient entre les mains du régime. Dans cette Roumanie, les gens essayaient de survivre, portant le poids d’un régime qui broyait l’espoir. Les sourires étaient rares, les regards souvent vides, mais derrière chaque façade se cachait un mélange de souffrance et de résilience.

Il a lui-même connu l’abandon dès sa naissance par son Père. Puis il a subi le dédain d’un beau-père brisé par l’alcool, qui le traitait comme un être insignifiant. L’amour, la reconnaissance, ces besoins fondamentaux pour chaque Être, il n’a probablement pas eu la chance de les expérimenter à leur juste valeur. Comment pourrait-on attendre de lui ce qu’il n’a jamais appris, ce qu’il n’a jamais reçu ? Et lorsque la vie se déroule dans un environnement de chaos, où chacun lutte pour sa survie, où l’entraide devient une illusion effacée par les rigueurs d’un régime qui détruit les liens humains, est-ce que l’amour peut y trouver facilement sa place ?

La survie, cette pulsion qui nous transforme, nous coupe de notre essence véritable. Survivre nous éloigne de notre être profond, nous entraîne à adopter un comportement qui n’est pas vraiment le nôtre, nous pousse à devenir égoïstes, à avoir des actes parfois déshumanisants, là où notre cœur se déconnecte de notre Être. La douleur forge des armures, des murs, et derrière ceux-ci, parfois, se cache un Être qui a appris à souffrir, non pas à aimer.

En découvrant son histoire, j’ai ressenti en moi un élan de pardon, un pardon qui ne venait pas d’un effort de volonté mais d’une compassion qui naissait au plus profond de mon Être. Pardonner, c’était me libérer, c’était refuser de m’enchaîner aux croyances qui nous sont si souvent inculquées, celles qui nous dictent de haïr ceux qui nous blessent. Rester dans la posture de victime peut sembler tentant, car la douleur nous offre parfois une identité, elle donne un nom au chagrin. La victimisation nous enferme dans une prison dont les murs sont bâtis par ceux qui nous jugeons nous avoir fait du tort.

Non, le pardon n’est pas un acte de faiblesse, ce n’est pas oublier ni excuser le mal subi, ni le minimiser. C’est un acte de force intérieure, une décision de se libérer des chaînes de la rancune. C’est, en un sens, se réapproprier son existence, reprendre les rênes de son propre destin. Et de refuser d’être défini par le passé et choisir de construire un futur où notre Être retrouve son essence. 

Le rencontrer a été comme se regarder dans un miroir, une invitation à explorer des profondeurs insoupçonnées de moi-même. J’ai voulu voir au-delà de son histoire, au-delà des cicatrices et des étiquettes, pour rencontrer son véritable Être. J’ai découvert en lui des qualités tel que la créativité en art et en musique, une passion pour l’histoire, des qualités dont ma sœur a hérité. J’ai voulu entrevoir ce qui se cachait derrière le mur que la vie lui avait construit, un mur qui étouffait peut-être les qualités humaines qui sommeillaient en lui.

Sans rien attendre de particulier de cette rencontre qui s’est très bien passé, j’avais l’intuition d’avoir ce devoir en moi d’aller apaiser la honte qui l’a peut-être rongé durant toutes ces années, d’accueillir cet homme tel qu’il est. À travers cette rencontre, j’ai non seulement appris sur lui, mais aussi sur moi-même. J’espère avoir semé en lui un apaisement, car malgré ces erreurs, lui aussi mérite le pardon et la guérison de ses blessures.

Il a été l'élément déclencheur de cette belle histoire. C’est comme s’il avait allumé un incendie, mais qui a simplement brulé les branches mortes qui ont révélé un sentier, celle que mon âme était destiné à expérimenter. 

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